De la cabosse à la tablette

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Conférence prononcée le 29 octobre 2001 dans le cadre de l’exposition « Le chocolat, remède à tous les maux » par Michel Barel, expert cacao et café pour le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)

Histoire

Le cacao est originaire de la zone intertropicale d’Amérique latine. Le premier cacao connu et cultivé était le Criollo que l’on trouvait depuis le Mexique jusqu’au bout de l’Amérique Centrale. L’histoire dit que ce Criollo a été cultivé par les Olmèques, les Toltèques puis par les Mayas.

Le Criollo est un cacao fin de très bon arôme, mais l'arbre est extrêmement fragile et peu productif. Il représente, aujourd’hui, seulement 1 % de la production mondiale. Criollo veut dire Créole, cacao local, en espagnol. À l'opposé il y a le cacao « étranger », le Forastero. Il est originaire du bassin de l’Amazonie qui produit l’Amelonado. Le Forastero serait le premier cacao apparu sur terre, bien avant la naissance de l'humanité. Ses graines auraient été transportées au cours des âges depuis l'Amazonie, jusqu'au Mexique et, durant ce voyage, des mutations seraient intervenues pour transformer le Forastero en Criollo

Le Forastero est le cacao le plus cultivé puisqu’il représente à lui seul 80% de la production mondiale. Le 3ème type de cacao, identifié sur l’île de Trinidad, dont il a tiré son nom, est le Trinitario : c’est un hybride entre le Forastero et le Criollo, qui peut avoir des caractéristiques plus proches de l’un ou de l’autre des parents. Dans la sélection cacaoyère, on essaie aujourd’hui de trouver des Trinataro, qui aient le côté aromatique très fort des Criollo et la productivité des Forastero.

Le berceau ethno-botanique du cacaoyer est situé au Mexique. Ce sont les colons espagnols qui ont propagé sa culture en Amérique latine, puis en Asie. Vers 1670, les Espagnols introduisent le Criollo dans l’île de Java. L’histoire de la cacaoculture est liée à l’histoire de l’expansion coloniale et c’est ainsi qu’au XIXe siècle et au début du XXe, on assiste sous l’influence des Hollandais à une redistribution du cacao dans toutes les îles du sud-est asiatique. À la fin du XIXe siècle, les Portugais introduisent le cacao en Afrique via les îles de Sao Tomé et Principe : la culture des Forastero se répand au Ghana et en Côte d’Ivoire, accompagnée de Trinitario au Cameroun et au Nigéria. Les Anglais, à partir de Ceylan, introduisent le cacao sur l’île de Madagascar.

Pays producteurs

La production mondiale vient de 45 pays, mais elle est surtout concentrée dans 8 pays. La Côte d'Ivoire est le premier pays producteur avec 1 200 000 tonnes. En seconde position, le Ghana et l’Indonésie produisent 350 000 à 400 000 tonnes, selon les années, puis viennent le Nigeria, le Cameroun, le Brésil, l’Equateur, et la Malaisie. 

Les Forasteros se sont bien adaptés sur le continent africain qui donne l'Amelonado ouest africain au goût chocolaté basique et prononcé. Les cacaos fins sont plutôt cultivés en Amérique Latine, dans les Caraïbes, dans l'Océan Indien, et un peu en Asie du Sud-Est. L'Equateur produit un cacao au goût Arriba, avec des notes de fleurs d’orangers et de jasmin. Le Chuao, cacao quasiment pur Criollo, vient du Vénézuéla. Les Iles caraïbes, mise à part la République Dominicaine, fournissent 100% de cacaos fins, aux arômes boisés de noisette, d’amande et de tabac. Madagascar et l’Océan Indien produisent des cacaos aux arômes de fruits rouges portés par une acidité étonnante qui révèle des nuances de framboise, cassis et groseille. Java et la Papouasie-Nouvelle Guinée cultivent des cacaos fins, à rapprocher de ceux du Vénézuela, aux saveurs délicatement chocolatées avec des touches caramel ou fumées. 

La production mondiale, aujourd’hui de 2 700 000 tonnes, présente un risque de pénurie tant sur la quantité que sur la qualité. En effet la cacaoculture est une culture de fronts pionniers : la forêt primaire est défrichée et l'on plante les cacaoyers qui produisent pendant 30 à 50 ans. Au cours de la période de production, des maladies et des insectes prolifèrent, diminuant le rendement, en particulier dans les zones de productions intensives concentrées. En Afrique, le sol latéritique s’épuise et, compte tenu des faibles moyens financiers des planteurs, il ne peut-être régénéré par apport d’engrais. Une fois que la plantation n’est plus rentable, les nouvelles générations planteront sur d’autres défriches au détriment de la forêt que l’on tente de protéger : cela pose la problématique de la réutilisation des sols des anciennes zones cacaoyères. Par ailleurs le cours du cacao étant très bas, les planteurs mal rémunérés ne sont pas incités à produire des cacaos de qualité ou, pire, ils arrachent leurs plantations pour exploiter d’autres cultures afin d’assurer la subsistance de leurs familles.

Culture du cacaoyer

Le cacaoyer est un arbre de la strate inférieure, qui pousse à l’ombre des grands arbres de la forêt équatoriale : à l'état sauvage le cacaoyer peut atteindre 10 à 15 mètres. C'est une dicotylédone dont les graines sont plantées et se développent en pépinières ombragées. En culture, il est maintenu entre 3 et 6 mètres de hauteur. Les arbres d’ombrage, indispensables à la bonne croissance du cacaoyer, sont sélectionnés tant pour leur résistance aux cyclones que pour la valorisation de leur bois d'oeuvre. Au Costa Rica, ces arbres servent de perchoirs relais aux oiseaux migrateurs et permettent le développement de faunes et de flores spécifiques. 

Le fruit du cacaoyer s’appelle une cabosse. Elle ressemble à un petit ballon de rugby d'une vingtaine de centimètres. Les cabosses poussent sur le tronc de l’arbre et les grosses branches, en des endroits appelés coussinets floraux, qui portent en même temps et toute l'année, les boutons floraux, les fleurs et les fruits à différents stades de leur évolution. 

Diverses maladies menacent l’avenir de la cacaoculture. La pourriture brune attaque les cabosses et endommage les graines. Elle est due à un champignon phytophthora dont la variété la plus virulente, phytophthora megakarya détruit 50% de la production du Cameroun. Phytophthora se rencontre aujourd’hui dans toute la zone cacaoyère, mais plus particulièrement en Afrique. Les traitements antifongiques étant peu efficaces, le CIRAD recherche des variétés de cacaoyers résistant aux champignons. La maladie du balai de sorcière, rencontrée seulement en Amérique latine, est transmise par un champignon Crinipellis perniciosa : il s’installe sur le tronc et les branches, et l’arbre s’épuise à fabriquer du bois au lieu de produire des fruits. La seule méthode de lutte est de couper les rameaux où prolifèrent les balais de sorcière ce qui nécessite beaucoup de main d’oeuvre et augmente le coût de la culture. Pour cette raison, le Brésil a vu sa production baisser de 60% depuis 10 ans et importe actuellement des fèves de Cote d’Ivoire.

Récolte et traitements post-récolte

La récolte se fait à l’aide de machettes, de sécateurs ou d'émondoirs en prenant soin de protéger le coussinet floral : pour les branches hautes on utilise des perches. Généralement, les cabosses sont entassées au bord du champ. Les cabosses sont ouvertes (écabossage) à l'aide d'une massue ou d'une machette et l’on extrait manuellement les graines sans les abîmer. Les graines sont entourées d’une pulpe blanche (mucilage) qui va subir une fermentation indispensable pour la qualité du cacao. La pulpe, riche en sucre et en acide citrique, est ensemencée naturellement par des micro-organismes provenant de l’air ambiant : il se produit une fermentation alcoolique au cours de laquelle les levures consomment l'acide citrique et sécrètent des enzymes qui déstructurent la pulpe. Celle-ci s’écoule sous forme de jus ce qui permet à l’air de pénétrer dans le milieu, devenu moins acide. Les nouvelles conditions sont favorables au développement de bactéries en particulier acétiques transformant l’alcool en acide acétique.

La graine de cacao contient environ 50% de matière grasse. Dans les cellules de la graine, avant fermentation, celle-ci se présente sous forme d’un film entourant toutes les substances non grasses et formant ainsi une barrière grasse qui empêche les enzymes d'entrer en contact avec leurs substrats pour développer les précurseurs de l'arôme. Au cours de la fermentation, l’acide acétique formé dans la pulpe, pénètre dans la graine et acidifie le milieu cellulaire. La matière grasse se met alors sous forme de globules et la phase hydrosoluble forme un continuum : les enzymes peuvent atteindre leurs substrats et transformer les polyphénols, dégrader les protéines en acides aminés et hydrolyser les sucres complexes en sucres simples Ces nouvelles molécules sont les précurseurs de l’arôme chocolat.

Après la fermentation qui dure entre 4 et 8 jours vient le séchage. Les fèves sont étalées au soleil afin de réduire leur humidité de 55% à 7%, ce qui permettra la bonne conservation du produit. On peut pratiquer également un séchage artificiel au moyen de générateurs d’air chaud. Une fois séchées, les fèves sont emballées en sacs de 60 kilogrammes expédiés aux usines des pays consommateurs : le produit ainsi obtenu s’appelle le cacao marchand.

Traitement industriel

Le cacao marchand est trié puis torréfié selon les mêmes méthodes que le café, dans des torréfacteurs à tambour pendant 20 à 35 minutes à des températures de 110 à 140 degrés. Cette opération développe l’arôme chocolat et abaisse la teneur en eau autour de 2%. Dans les cacaos fins, on distingue 3 origines de l’arôme :

  • l’arôme de constitution, déjà présent dans la graine fraîche (par exemple la flaveur florale du cacao nacional d'Equateur);
  • l’arôme fermentaire, constitué par des métabolites issus de la fermentation microbienne (comme pour les fromages);
  • et l’arôme thermique, nettement chocolat, qui se développe surtout au cours de la torréfaction.

Ensuite, le concassage permet de broyer grossièrement les fèves et d’obtenir le grué (ou nibs) qui sera séparé des coques et des germes puis broyé finement et fondu pour obtenir la masse de cacao. Cette masse a deux devenirs possibles :

  • issue de cacaos ordinaires, elle est pressée dans des presses hydrauliques pour en extraire le beurre de cacao, liquide jaune qui fond à 34 degrés. Le beurre obtenu sera simplement filtré et désodorisé. Ce qui reste dans la presse est le tourteau qui contient encore 10% à 20% de matière grasse : en le pulvérisant on obtient la poudre de cacao, qui est utilisée dans l’industrie des petits déjeuners, des pâtes à tartiner, des goûters et des desserts chocolatés. Le beurre de cacao, additionné de sucre et de poudre de lait, sert à fabriquer le chocolat blanc. En raison de son point de fusion, le beurre de cacao peut servir de support à des produits cosmétiques ou médicamenteux, mais il est progressivement remplacé par des matières synthétiques moins chères. Le principal avenir du beurre de cacao reste la chocolaterie.
  • issue de cacaos plus aromatiques, la masse est la matière première de l'industrie chocolatière. Elle est d'abord additionnée de sucre et, éventuellement de lait pour faire le chocolat au lait. Le mélange est ensuite raffiné de manière à obtenir des particules de chocolat très fines (20 microns), qui assurent une texture en bouche agréable. Le conchage, processus complexe qui émousse les arêtes vives subsistant après le raffinage est un malaxage long et à chaud (autour de 60 degrés) qui donne une pâte moelleuse. C’est à la fin du conchage que l’on rajoute le beurre de cacao nécessaire à la bonne texture du chocolat. Le chocolat doit en effet contenir entre 31 et 35% de matière grasse pour que toutes ses particules soient enrobées d'un film lipidique continu : cela constitue en fait une sorte d’émulsion. Le chocolat de couverture, plus riche en matière grasse est destiné à être refondu par les artisans chocolatiers pour faire les enrobages, les moulages etc. Enfin, le tempérage amorce la cristallisation du chocolat sous sa forme ß, la plus fine et la plus stable : on l’obtient en réalisant des cycles de réchauffements et refroidissements, autour du point de fusion. Ensuite, le cacao est mis en moule et refroidi pour obtenir le chocolat. Un chocolat qui est donné à 60% de cacao contient 40% de sucre et 60% du mélange masse + beurre de cacao (sans inclure les additifs de type lécithine ou vanille qui représentent moins de 1%). Le cacao sera mis en moule et refroidi pour obtenir le chocolat.

Michel Barel