La pharmacie au Grand Siècle : image et rôle du pharmacien au travers de la littérature

Monsieur de Pourceaugnac ; © FDD
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Conférence prononcée par Dominique Kassel, reponsable des collections d'histoire de la pharmacie à l'Ordre national des pharmaciens, lors des IVe rencontres d'histoire de la médecine et des représentations médicales dans les sociétés anciennes, Université Reims-Champagne-Ardennes, Troyes, 20-21 janvier 2006

INTRODUCTION

Organisée en corporation, la pharmacie au XVIIe siècle est réglementée par des statuts. Sous tutelle des Facultés ou des Collèges de médecine, la communauté intervient sur le recrutement de ses membres, fixe les règles d’apprentissage et d’accès à la maîtrise, la situation des veuves de maîtres et celle des auxiliaires, surveille l’application des statuts par la visite de jurés, impose les ouvrages de référence (1) nécessaires à la préparation des médicaments. L’apothicaire du Grand Siècle, entièrement soumis à l’autorité du médecin, subit de plein fouet la querelle qui oppose la faculté de médecine de Montpellier, avant-gardiste, à celle de Paris, traditionaliste. Il lutte contre la concurrence déloyale des épiciers, des empiriques, des charlatans et autres marchands d’orviétan. Impliquée dans la célèbre « affaire des poisons », la profession ne parvient pas à s’affirmer.

L’étude des textes pharmaceutiques de cette époque nous révèle un homme prudent et de bonnes mœurs, sobre et craignant Dieu. Il accède à une formation pratique et obtient sa maîtrise après des années d’apprentissage et de compagnonnage. C’est un notable qui appartient à la corporation des « épiciers apothicaires ». Ce portrait de l’homme de l’art est en totale contradiction avec l’image donnée par la lecture de la littérature classique, comme la correspondance de la marquise de Sévigné ou les pièces de théâtre de Molière, qui nous révèle un personnage cupide, ridicule, affublé de seringues à clystère, « à la botte » des bonnets pointus !

BREF RAPPEL DES CONNAISSANCES MEDICALES

La médecine est alors régentée par la philosophie qui considère que la nature est composée de trois éléments : Dieu ou l’Esprit, le monde Astral et ses sept planètes et le monde sublunaire régi par le nombre quatre avec ses quatre éléments. L’homme, microcosme calqué sur le macrocosme, est la synthèse des quatre substances élémentaires : la terre, l’eau, l’air et le feu. Ces substances sont représentées par des qualités : le sec, l’humide, le froid et le chaud. La combinaison des quatre matières en proportions variables donne quatre tempéraments de base : sanguin, bileux, atrabileux et pituitaire. C’est la fameuse théorie des quatre humeurs cardinales héritée d’Hippocrate reprise et augmentée par les conceptions de Galien. Le sang chaud et humide est secrété par le foie ainsi que la bile, chaude et sèche. Le cerveau sécrète la froide et humide pituite ; l’atrabile, produite par la rate, est froide et sèche. Ce sont les déséquilibres humoraux qui provoquent la maladie : excès ou défaut de l’une ou l’autre humeur. La thérapeutique découle de source : « contraria a contrariis curantur », elle doit contrarier le tempérament morbide de l’individu et l’organe malade. Les substances végétales, qui constituent la base des traitements, sont pourvues de l’une des quatre qualités élémentaires.

Plusieurs courants médicaux s’opposent : les Galénistes qui érigent en dogme les écrits des anciens et qui ne savent que prescrire des purgations, des saignées et des clystères ; les Iatrochimistes, héritiers de Paracelse ; les Iatromécanistes, influencés par les idées de Descartes et par les théories de Copernic, Galilée et Newton.

La thérapeutique est à l’image de ces trois courants et propose des traitements par les substances végétales prônées par les galénistes, ou par les minéraux prescrits par les chimistes. L’arsenal thérapeutique est complété par l’apport des drogues exotiques, la polypharmacie (thériaque et mithridate), les remèdes secrets et tous les produits du charlatanisme.

FORMATION ET QUALITES QUE DOIT AVOIR UN APOTHICAIRE SELON NICOLAS LEMERY

La formation de l’apothicaire est exclusivement pratique, consistant en un long apprentissage des tours de main nécessaires pour réussir les préparations. Les maîtres apothicaires, dans leur apothicairerie, se chargent de l’instruction des candidats à la maîtrise.

L’apprenti doit avoir des notions de latin et de grammaire afin de lire les formulaires et les ordonnances des médecins. Après de longues années d’apprentissage et de compagnonnage, l’élève accède à la maîtrise à la suite d’épreuves multiples dont la confection d’un chef-d’œuvre. Pour exercer son art l’apothicaire doit posséder un grand nombre de qualités selon Nicolas Lémery (2) : 

« Un apothicaire doit être prudent, sage, de bonnes mœurs, modéré en ses passions, sobre, craignant Dieu, laborieux, vigilant, ayant appris la langue latine, qui lui est nécessaire pour pouvoir entendre les livres latins de son art et les ordonnances des médecins, et possédant un bien raisonnable pour subvenir aux dépenses considérables auxquels il est obligé.

Il doit faire un apprentissage de trois ou quatre années selon les statuts, chez un habile Maître, après quoi il est bon qu’il voyage, et qu’il travaille dans les principales villes du Royaume, où la pharmacie se fait avec le plus de réputation pour se former dans la vacation et pour apprendre les différentes manières d’opérer.

Ce fonds étant fait, il sera capable d’être reçu à la maîtrise et de tenir boutique, c’est là où il a besoin de toutes ses bonnes qualités, et où il faut sur tout ce qu’il fait exempt de l’avarice, qui lui ferait acheter des drogues vieilles et surannées pour en avoir bon marché, il doit toujours choisir les plus belles et les meilleures, quoi qu’elles coûtent. Outre que par là il s’acquittera de son devoir, il en sera bientôt récompensé, parce que les médecins et les malades ayant reconnu les bons effets que ses remèdes produisent, le mettront en réputation.

Il faut qu’il ait soin de renouveler les drogues, qui en vieillissant perdent la plus grande partie de leurs qualités, comme les conserves, les infusions, les sucs, les eaux distillées. Qu’il travaille ou qu’il soit présent à toutes les compositions qui se font chez lui, ne se mettant point tant en peine de porter lui-même les médecines aux malades, comme de les préparer avec exactitude.

Enfin, qu’il évite d’acheter les compositions de pharmacie que vendent les épiciers et les colporteurs et principalement de celles qu’on étale aux foires, comme de la thériaque, de l’orviétan, du mithridate, des confections d’hyacinthe et d’alkermès, du cristal minéral, des sels d’absinthe, de tamarin, de sublimé doux, car elles sont presque toutes falsifiées : et qu’il s’assurera qu’on y aurait point mêlé par méprise ou autrement quelque ingrédient dangereux. Il faut autant qu’il sera possible, que tous les médicaments composés qu’il emploiera aient été faits chez lui, afin qu’il soit sûr de leur bonté.

Un apothicaire doit être curieux de tout ce qui concerne la profession, et pour peu qu’il s’applique à faire son devoir, il trouvera non seulement beaucoup de satisfaction, mais un enchaînement de faits divertissants et capables d’exercer son raisonnement. Il ne faut pas qu’il soit présomptueux pour entreprendre ce qui est au-dessus de sa portée, mais que selon la subordination justement établie, il soit soumis et lié d’intérêt au médecin, pour le soulagement du malade, ce qui est le but où l’un et l’autre doivent aspirer…

Au reste, l’étude de la pharmacie est d’une conséquence indispensable à tous ceux qui font profession de la médecine, car si l’on ne s’y applique suffisamment on vacille toujours dans la pratique, et l’on est sujet à tomber dans les fautes grossières très préjudiciables aux malades. Je conseillerais à tous les jeunes médecins d’aller voir opérer les apothicaires, et de mettre la main à l’œuvre, au moins pendant une année, avant que d’entreprendre de pratiquer, ils seraient bien plus sûrs de leur fait quand il s’agirait de prescrire leurs ordonnances. »

LE CADRE DEXERCICE : LA BOUTIQUE DE LAPOTHICAIRE SELON JEAN DE RENOU

Le Grand dispensaire médicinal contenant cinq livres des institutions pharmaceutiques du sieur Jean de Renou, Conseiller et Médecin du Roi publié en 1624 est considéré comme la bible de l’apothicaire.

L’ouvrage décrit le fonctionnement de la pharmacie et les effets des médicaments. Ses chapitres sont consacrés aux préparations, aux compositions, aux lois et aux préceptes. Ils décrivent les différentes formes galéniques : sirops, mellites et sucs ; conserves, confitures et loochs ; robs ; pandaleons ; électuaires ; pilules ; hieres (purgatifs) ; trochisques ; eaux médicinales ; huiles ; baumes ; emplâtres ; poudres ; lavements, plumaceaux et suppositoires ; onguents et cérats... Ils traitent des formules et des ordonnances, des remèdes, et présentent la matière médicale. Une grande partie de l’ouvrage est consacrée aux plantes qui sont classées selon leurs pouvoirs. Le livre nous donne des indications précieuses sur la longue liste des substances et préparations que doivent posséder les apothicaires. Il se termine par « l’Antidotaire ou boutique pharmaceutique » qui traite de la maison et de l’aménagement de la boutique du pharmacien.

Pharmacie des villes ou pharmacie des champs, les boutiques diffèrent selon le lieu de leur implantation et la richesse de leur propriétaire. La condition des apothicaires des villes est aisée et ils figurent parmi les riches commerçants. À la campagne, la valeur des boutiques est moindre et la maison de l’apothicaire est plus modeste. Jean de Renou nous décrit la boutique idéale :

« Quant à la maison du pharmacien, elle doit être bâtie dans une bonne ville, ou dans un bon bourg, dans un lieu clair et aéré et dans une rue nette et éloignée des cloaques et des égouts.

Elle doit être assez grande, spacieuse et haute, à cette fin de loger au plus haut et dernier étage de celle-ci, toutes les plantes dont il a besoin pour son usage et qui ne peuvent si bien se garder ailleurs que là, comme étant le lieu le plus sec et le plus aéré de la maison.

A la base de celle-ci, qui est la cave, y mettre beaucoup de choses qui demandent un lieu moite et humide, comme la casse noire, le vin et autres choses semblables.

Entre la cave et le grenier de ladite maison, il est nécessaire qu’il y ait plusieurs étages, ou tout au moins un seul, où le pharmacien et sa famille puissent loger : et au-dessous de celui-ci, doit être située la boutique pharmaceutique grande, belle, carrée et bien claire, en telle sorte néanmoins, qu’elle ne soit pas trop exposée aux rayons du soleil, de peur qu’ils ne viennent à sécher, fondre ou échauffer les compositions et autres médicaments simples : ni moins encore à la merci des trente-deux vents, qui ne pourraient être que trop importuns.

Or en ladite boutique, il doit y avoir deux portes, l’une qui soit du côté de la rue et sur le devant, pour donner entrée dans la boutique, et l’autre au fond de celle-ci, pour pouvoir entrer dans une cuisine basse dans laquelle le sage et bien avisé pharmacien fera sa demeure la plupart du temps soit pour boire, pour manger, ou pour dormir à cette fin qu’il soit toujours à l’écoute et qu’il épie par une petite fenêtre vitrée si ses apprentis et serviteurs sont à leur devoir, s’ils reçoivent aimablement les étrangers et s’ils distribuent et vendent fidèlement et sans tromperie ses drogues et compositions… »

Pour Jean De Renou, il serait idéal de pouvoir conserver dans cette cuisine le sucre, les dragées et les confections solides. Si l’espace le permet, le pharmacien doit posséder une arrière-boutique dans laquelle il peut stocker les fruits, les semences et beaucoup d’autres denrées dont il doit disposer en grande quantité. Quoiqu’il en soit de son installation, l’apothicaire doit conserver dans sa boutique les préparations et les simples qu’il utilise régulièrement et les ranger dans des meubles adaptés : « il aura lieu pour loger proprement tous les vaisseaux pharmaceutiques, tant grands que petits, tant ceux qui sont de bois, que ceux qui sont de terre, de verre ou d’étain et n’oubliera pas de les situer, en façon que ceux qu’il faut le plus souvent manier soient en lieu proche et commode et les autres, les moins usités en quelque étage plus éloigné… »

Des tables et des buffets sont également nécessaires dans la boutique. Les tables servent à choisir, préparer, nettoyer, peser et mesurer les médicaments simples. Des comptoirs, longs et carrés, munis de tiroirs supportent les petits mortiers.

L’essentiel de l’art pharmaceutique réside dans la conception et la réalisation des médicaments. Pour exercer son art, l’apothicaire se doit d’utiliser un matériel approprié et il dispose d’un nombre infini d’ustensiles et d’instruments dont les uns sont nécessaires et les autres inutiles. Les instruments inutiles servent à la décoration, les instruments nécessaires servent soit à la préparation des remèdes soit à leur conservation. Mortiers et pilons, spatules et cuillères, chaudrons, pressoirs, cribles et bluteaux, couloirs, fourneaux et alambics sont les ustensiles les plus utilisés. Parmi tous ces instruments s’il en est un dont l’apothicaire ne peut pas se passer, c’est le mortier.

La matière médicinale qui sert à la fabrication des remèdes étant très diverse, les instruments qui servent à sa préparation ont leur propre spécificité. Les mortiers sont de taille et de grandeur différentes, fabriqués dans des matériaux divers : pierre, marbre, agate ou albâtre ; métal, fer, cuivre, étain ou plomb ; verre ou bois et aussi dans des matériaux plus précieux comme l’ivoire, l’argent ou l’or. Les grands mortiers sont posés sur un tronc de bois afin de faciliter le travail.

Des petits coffrets, des boîtes, des vases et des bouteilles servent à la conservation. Les bouteilles sont en verre ou en terre et contiennent les eaux distillées : elles sont à portée de main car lourdes et fréquemment utilisées. Les burettes ou pots à huile sont en terre ou en étain. Des pots de terre, d’étain ou de plomb contiennent les onguents ; des petits piluliers, bocaux de terre, de verre ou d’étain renferment les poudres cordiales et les masses de pilules. Les plantes sèches et les racines sont conservées dans des boîtes de bois rondes ou carrées. Ces boîtes sont décorées « de peintures récréatives, comme peuvent être cerfs volants, centaures à cul pelé, oisons bridés et autres semblables, entre lesquelles on a accoutumé de laisser un petit vide carré pour y écrire, en lettres d’or ou d’azur, le nom de la drogue qui est contenue [...] … Quant aux chevrettes, elles sont toutes de terre blanche et polie au-dedans et reluisantes en dehors : elles n’ont qu’une anse d’un côté, afin de les prendre plus commodément avec une main, et de l’autre un petit tuyau, par lequel on vide aisément la liqueur contenue. L’orifice supérieur est fort large et ouvert afin de les remplir plus facilement : au reste on les embellit en dehors de plusieurs et diverses figures, et sont principalement employées pour la garde des sirops… ». Pour conclure ce chapitre consacré aux ustensiles qui sont nécessaires au pharmacien, Jean de Renou conseille « à quelque pauvre apothicaire qui n’ait pas les moyens de les avoir tous, d’avoir à tout le moins ceux desquels il ne pourrait pas se passer ».

COMMUNAUTE MIXTE : RELATIONS EPICIERS APOTHICAIRES

La devise « Lances et pondera servant », que l’on peut traduire par « Ils ont la responsabilité des poids et mesures » accompagne le blason de la communauté des apothicaires et épiciers de Paris : « d’or à deux vaisseaux à la voile de gueule, sur une mer d’azur, chargé à gauche d’un bras sortant d’un nuage tenant à la main une étoile de gueules avec pour devise ces mots placés autour de l’écusson », selon Savary des Bruslons en 1742.

Depuis l’ordonnance de Philippe Le Bel en 1312, confirmée par lettres patentes en 1560, la communauté mixte des épiciers apothicaires a la garde de l’étalon des poids et mesures. Il lui incombe donc l’inspection de tous les vendeurs de marchandises débitées au poids. Pour la communauté, la responsabilité des poids et mesures est une lourde charge car la base du système est complexe à calculer. Une manipule ou poignée équivaut à ce que la main peut contenir : la pincée ou pupille à ce qui peut être pris entre les trois doigts. Les liquides sont mesurés en pot, pinte, sextier. Les marchands utilisent la livre ordinaire qui vaut 16 onces. Les apothicaires utilisent la livre médicinale qui vaut seulement 12 onces. Les poids sont calculés en grains : l’obole vaut 12 grains, le scrupule 24 grains, la drachme 72 grains et l’once 576 grains.

Au sein de la communauté, la hiérarchie est assurée par les jurés qui gèrent la corporation et procèdent à l’inspection de leurs confrères pour vérifier la bonne qualité des marchandises et l’exactitude des poids dont ils détiennent les étalons.

Chaque corps a le monopole des ventes correspondant à ses attributions. Les épiciers vendent des produits exotiques utilisés par les pharmaciens pour la confection des médicaments. La frontière entre aliment et médicament est mince à une époque où les drogues simples sont la base des remèdes. Jean de Renou nous permet d’établir la différence : « le médicament est tout ce qui peut changer ou altérer notre corps, soit qu’on le prenne intérieurement, ou qu’il soit appliqué par dehors, comme le poivre, l’euphorbe, la nymphea, la chicorée… » ; « l’aliment est tout ce qui peut nourrir et faire accroître notre corps, pris intérieurement, comme le pain, la chair des animaux ».

Les relations entre les deux corps de métier sont souvent houleuses et plus particulièrement à Paris où les apothicaires peuvent cumuler les deux exercices. L’épicier pour sa part ne peut exercer la pharmacie, mais la tentation est parfois grande d’engager un garçon apothicaire pour contourner la loi. En 1632, à la suite de procès incessants, le Parlement délimite les droits des uns et des autres. Les épiciers gardent le droit de vendre des médicaments simples d’origine végétale (rhubarbe, séné, manne, casse, turbith), des médicaments composés comme les marchandises dites « foraines » (thériaque, mithridate) et des eaux aromatiques et odoriférantes, qui correspondent pourtant à des actes pharmaceutiques.

Les querelles persistent à propos des préparations à base de sucre et un nouvel arrêt du Parlement en 1689 reconnaît aux seuls apothicaires le droit de vendre les sucres, les cassonades, l’huile d’olive, l’huile de noix et toutes les autres huiles médicinales ou à brûler. Ils obtiennent aussi le monopole de la vente de toutes sortes de confitures, des dattes, des sirops, du riz, des noix de galle, du poivre, de la maniguette, du girofle. Les contestations et les procès se poursuivent pendant près d’un siècle et une tentative de désunir les deux professions en 1691 est annulée en 1692. Il faudra attendre 1777, la déclaration du roi, « Portant règlement pour les professions de la pharmacie et de l’épicerie à Paris » pour que les deux professions soient définitivement séparées.

L’AFFAIRE DES POISONS

L’apothicaire est un professionnel, qui tient boutique, et dont l’activité consiste en la préparation et la dispensation des médicaments. Ces derniers sont issus des trois règnes de la nature : minéral, végétal et animal. La connaissance des « drogues simples est si belle et si relevée, qu’elle a fait l’étude et la curiosité des plus beaux esprits de tous les siècles : plusieurs Princes s’y sont appliqués avec beaucoup de plaisir et d’utilité, comme Messué, Mithridate… elle est d’une nécessité indispensable à tous ceux qui se mêlent de cette science mais principalement aux apothicaires », selon Nicolas Lémery dans la première édition du Traité universel des drogues simples (1698).

Vendeur de drogues et de substances toxiques, depuis l’ordonnance d’août 1353, l’apothicaire se trouve sur le devant de la scène dès qu’il s’agit d’une « affaire d’empoisonnement ».

Les principaux poisons utilisés au XVIIe siècle sont des substances naturelles extraites du règne minéral (arsenic, sublimé, litharge, réalgar, chaux vive et orpiment appelé arsenicum par les Grecs), mais aussi du règne végétal (ellébore, ciguë) et animal (venins de serpent et de crapaud). Le venin de crapaud était l’un des poisons favoris de la Brinvilliers pour la fabrication de ses poudres de succession. À l’occasion de cette « retentissante affaire » et lors des perquisitions ordonnées par la Chambre Ardente, on découvrit des « officines à poisons » et nombre d’apothicaires, possesseurs de laboratoires et de substances toxiques connues furent considérés comme « complices » d’empoisonnements.

L’affaire éclata au grand jour à l’occasion de l’arrestation le 19 mars 1679 de Catherine Deshayes dite « La Voisin ». La Reynie, lieutenant de police de Louis XIV, fut stupéfait des révélations de l’accusée qui impliquait une large partie de la société parisienne et de la Cour. Anecdotes sulfureuses, essor du crime d’empoisonnement, l’affaire fit grand bruit et « intéressa le monde » selon la marquise de Sévigné. Louis XIV, le 7 avril 1679, créa la chambre de l’Arsenal, une cour extraordinaire de justice, pour juger un impressionnant réseau de devins, sorciers, empoisonneurs.

Trahie par des documents compromettants trouvés chez son amant, la marquise de Brinvilliers est arrêtée, soupçonnée d’avoir empoisonné son père et ses frères : elle met en cause lors de ses interrogatoires des personnes haut placées comme Christophe Glaser (3), apothicaire du Roi. C’est à la fin de sa carrière que Christophe Glaser est impliqué dans « l’affaire des poisons ». Effectivement, l’amant et complice de la marquise, un nommé Sainte-Croix, étant un chimiste amateur, avait suivi les cours de Glaser. La responsabilité de l’apothicaire se borna-t-elle à avoir enseigné la préparation du sublimé corrosif à ses élèves ? Accusé par les témoignages de la marquise après son décès, il est difficile de connaître la part de responsabilité et la culpabilité de l’apothicaire dans cette affaire.

C’est à l’issue de l’instruction et des jugements proclamés par la Chambre de l’Arsenal que sera enfin réglementée la vente des substances toxiques par un édit royal de 1682 « Pour la punition de différents crimes, notamment des Empoifonneurs, ceux qui fe difent Devins, Magiciens et Enchanteurs ; & portant reglement pour les Epiciers & Apothicaires ». Cet arrêt préfigure la réglementation actuelle des substances vénéneuses et des produits toxiques. Le poison est défini comme toute substance capable ou non de causer la mort, mais aussi d’altérer peu à peu la santé. La vente, le contrôle de la vente en gros et la conservation sont réglementés et il est demandé aux détaillants et aux apothicaires « de les tenir en des lieux sûrs fermés à clefs, de les enregistrer dans un registre particulier et d’en tenir l’inventaire ».

LA THERAPEUTIQUE DE MADAME LA MARQUISE : LES REMEDES SECRETS

Cette affaire des poisons qui révèle le mauvais usage des drogues nous permet d’aborder une autre dérive de la thérapeutique, l’automédication. L’abondante correspondance de Marie de Rabutin-Chantal, plus connue sous le nom de marquise de Sévigné, nous livre les mœurs et l’histoire du grand siècle. L’épistolière, dans les lettres qu’elle adresse à sa fille, Madame de Grignan, et à ses amis, nous lègue un précieux témoignage du monde médical et un constat de l’état sanitaire de la France. Soucieuse de sa santé et de celle de sa « chère fille », elle approfondit les causes de ses maux et étudie les remèdes appropriés.

Guérisseuse et dispensatrice de remèdes, elle fait preuve d’une véritable vocation médicale. La thérapeutique n’a pas de secret pour elle, mais malgré sa culture elle se plie à la mode de la Cour et consulte des « empiriques » et des « guérisseurs ». Les dames de la Cour aiment « soigner » leur prochain et échangent bien volontiers les remèdes de bonne femme et les remèdes secrets. Rien de bien surprenant à cela car le roi n’est-il pas considéré comme le premier « guérisseur » du royaume, pour soigner les écrouelles ? De plus les lettres patentes qu’il accorde aux charlatans ne favorisent-elles pas la vente des remèdes secrets ?

À titre d’exemple, l’abbé Rousseau et l’abbé Aignan reçoivent du roi un appartement pour y travailler. Le plus connu des remèdes secrets, le baume tranquille, est composé d’une vingtaine de plantes infusées dans de l’huile d’olive. Ce baume, qui figure encore dans la Pharmacopée de 1965, convient à la guérison des blessures et à ce titre, il est appliqué sur la jambe de la marquise qui souffre d’un ulcère. Admirable dans les coliques et les dysenteries, il est également bon contre l’inflammation de la poitrine, la pleurésie, les rhumatismes, les douleurs d’oreille, les rétentions d’urine, les hémorroïdes, et bien d’autres affections si l’on en croit le père Aignan. Si l’on y ajoute quelques gros crapauds vifs le remède est, de plus, efficace contre la peste et toutes les maladies vénéneuses d’après l’abbé Rousseau. Les Capucins du Louvre préparent également de nombreux remèdes dont ils n’ont pas l’exclusivité : une tisane qui guérit la fièvre ; l’eau d’émeraude, à base d’esprit d’urine ; l’eau de la Reine de Hongrie, à base d’alcoolat de romarin et de diverses plantes.

L’automédication est très en vogue, favorisée par la vente de livres comme les Remèdes charitables ou les Recettes faciles de Madame Fouquet. Gui Patin, illustre médecin de la faculté de médecine de Paris, soutient la publication de ces ouvrages. Dans Le Médecin charitable, Philibert Guybert décrit au grand public la manière de se soigner, de préparer des remèdes, sans avoir recours au pharmacien, à partir de drogues achetées chez les épiciers. Adepte de la purge, de la saignée et de la seringue à clystère, Patin préconise l’usage de médicaments peu nombreux mais éprouvés. Il déteste les apothicaires et souhaite leur disparition. Selon lui, ils vendent les drogues trop chères mais de plus ils commercialisent l’antimoine contre l’avis de la Faculté. La querelle de l’antimoine symbolise l’opposition entre les modernistes, partisans de la pharmacie spagirique et les conservateurs. La lutte dure plusieurs décennies et oppose les docteurs régents parisiens traditionalistes, gardiens de la médecine hippocratique et défenseurs de la galénique, aux médecins progressistes de la faculté de Montpellier favorables à la médecine chimique.

Les amies de la marquise, au risque de déplaire à la Faculté, se soignent avec de la poudre d’antimoine et des gouttes d’Angleterre. Monsieur Nicole, ami de Racine, tombé en apoplexie est « ressuscité » grâce aux gouttes d’Angleterre. Le remède composé de crâne humain, de vipères sèches et de corne de cerf, ne l’empêche pas de mourir deux jours plus tard. L’antimoine est délivré sur prescription médicale. Le docteur Charles Delorme (De Lorme), médecin de la faculté de Montpellier, prescrit la préparation à la marquise pour soigner ses vapeurs et elle n’en tarit pas d’éloges : « ce grand remède, qui fait peur à tout le monde, est une bagatelle pour moi ; il me fait des merveilles ». Sous forme de poudre, de vin émétique, les préparations antimoniales sont nombreuses et utilisées contre les hémorragies, la goutte et les humeurs froides.

On se purge régulièrement à la Cour du Roi Soleil, pour évacuer ses humeurs, avec du séné, du melon ou de la graine de lin en tisane. Si la marquise respecte les recommandations de la Faculté concernant la purge, il n’en est pas de même pour la saignée dont elle estime la pratique abusive : à cette époque, on saigne pour soigner mais aussi par précaution.

L’arsenal thérapeutique s’enrichit de l’apport des plantes exotiques rapportées des contrées lointaines. Plantes aromatiques, fruits et légumes, épices, plantes tinctoriales sont utilisés pour égayer les papilles ou les étoffes et pour fabriquer des médicaments. Le café, le chocolat et le quinquina font leur apparition à la Cour de France. Nicolas de Blégny, conseiller et médecin ordinaire du Roy et de Monsieur publie, en 1687, un ouvrage : « Le bon usage du thé, du caffé et du chocolat pour la préservation et pour la guérison des maladies ». Le café est une panacée selon lui, « il calme les fièvres, amaigrit les gens qui sont gras et fait engraisser ceux qui sont maigres ». La faculté de médecine n’est pas de cet avis et hésite entre les effets salutaires et les dangers du café. La marquise considère un temps que le café est dangereux et essaie de dissuader sa fille d’en consommer. De disgrâce en retours en grâce, le café connaît un triomphe à la Cour sous forme de lait cafeté du docteur Alliot, et la marquise, qui n’est pas à une contradiction près, est soudain prise d’engouement.

Le cacao est introduit à la Cour de France par les mariages royaux d’Anne d’Autriche, infante d’Espagne avec Louis XIII et celui de Marie-Thérèse d’Autriche avec Louis XIV. Produit de luxe réservé aux privilégiés, le chocolat est un plaisir des sens dont Brillat-Savarin fait l’éloge dans La physiologie du goût et qui possède des vertus thérapeutiques.

Si la Faculté reconnaît que le cacaoyer est un arbre exceptionnel, elle doute de ses vertus thérapeutiques. Pourtant, Nicolas de Blégny recommande le cacao contre les affections des voies respiratoires, la diarrhée et l’insomnie. Il est soutenu par l’apothicaire Nicolas Lémery, qui écrit dans son Traité des drogues simples « que le cacao fortifie l’estomac et la poitrine, provoque l’urine, calme la toux », le beurre de cacao est « une huile fortifiante et résolutive ; on en applique sur la région de l’estomac quand il est trop débile » et que le chocolat « en quelque manière qu’il soit pris, est un bon restaurateur propre pour rappeler les forces abattues et pour exciter la vigueur ».

« Poudre des Jésuites », « Poudre de la Comtesse », « Remède anglais », le quinquina arrive en France par l’intermédiaire de l’Anglais Robert Talbot, quelque peu « charlatan ». Malgré la méfiance naturelle de la Faculté pour les substances exotiques, le remède anglais connaît un succès retentissant. Toute la maison royale adopte le quinquina qui sauve le duc de Chartres, le chevalier de Grignan et surtout le Dauphin. Louis XIV achète le remède et divulgue sa composition : écorce de quinquina infusée dans du vin rouge ou rosé, à différentes concentrations, avec quelques gouttes de citron, de persil et de plantain. Il fait imprimer, le 17 février 1683, une circulaire de quatre pages, L’usage du Quinquina ou remède contre toute sorte de fièvre, imprimé par ordre du Roy, pour en recommander l’usage et en faire connaître la composition. Très vite, c’est la mode du quinquina qui rend les médecins méprisables avec leurs saignées. Révolutionnant la thérapeutique, le remède anglais dispense d’attendre la coction des humeurs peccantes et fait disparaître la fièvre tierce ou quarte. Jean de La Fontaine, en 1682, consacre le remède et lui dédie le Poème du Quinquina :

… Tout mal à son remède au sein de la nature.

Nous n’avons qu’à chercher : de là nous sont venus L’antimoine et le mercure,

Trésors autrefois inconnus.

Le Quin règne aujourd’hui : nos habiles s’en servent

C’est une fameuse écorce, que l’on trouve sur un arbre…

Les vertus d’un grand médicament resteront en sommeil et attendront 1820, que deux pharmaciens Joseph Pelletier et Bienaimé Caventou isolent, à partir du quinquina jaune, la quinine qui sauvera des millions de vies humaines atteintes de paludisme.

L’APOTHICAIRE DE MOLIERE

Ces conceptions périmées de la médecine, de la thérapeutique ont été les sources d’inspiration de Molière. Son œuvre théâtrale, au-delà de la comédie, peut être considérée comme une revue du monde médical de l’époque. La farce aborde, sur le mode comique, les importants débats qui opposent le corps médical. Querelles des anciens contre les modernes à propos de la circulation du sang et querelle des traditionalistes contre les novateurs à propos de l’utilisation des remèdes chimiques. Ses personnages s’inspirent des médecins et des apothicaires mais aussi des charlatans qui vendent des « remèdes miracles ». Il s’avère que l’auteur-acteur égratigne plus les médecins que les apothicaires même si la pharmacie de l’époque est tout aussi critiquable que la médecine, car les remèdes n’intègrent pas encore les progrès de la chimie et de la pharmacologie.

L’auteur du Malade imaginaire se moque des médicastres et des apothicaires et c’est bien normal car son métier, c’est de faire rire. Dans les nombreuses farces qu’il consacre à la médecine, il fait rire car depuis toujours la tradition médicale oppose le rire et donc la comédie à la mélancolie et à l’hystérie. Le rire pour faire oublier la détresse, la peur et l’angoisse de l’homme face à la mort et faire dire à Lisette dans L’Amour médecin : « J’ai connu un homme qui prouvait par bonnes raisons qu’il ne faut jamais dire : "une belle personne est morte d’une fièvre et d’une fluxion sur la poitrine", mais : "elle est morte de quatre médecins et de deux apothicaires" ».

Le médecin est un personnage de comédie, véritable monstre d’ignorance et de pédantisme. Affublés de chapeaux pointus posés sur de lourdes perruques, enveloppés de longues robes, les médecins s’appuient sur la doctrine hippocratique, procèdent d’après la méthode dialectique et cachent leur ignorance sous un jargon incompréhensible. L’apothicaire n’occupe qu’une place subalterne. Il est l’exécuteur de viles besognes, cupide et ridicule, entièrement soumis à l'autorité des bonnets pointus.

Le premier personnage d’apothicaire est Léandre dans Le Médecin malgré lui : assistant fidèle et muet du médecin, il se cantonne à la préparation et à l'administration des clystères. 

L’apothicaire de Monsieur de Pourceaugnac est tout aussi humble que le premier et répond à Éraste qui le confond avec le médecin :« ce n'est pas moi qui suis le médecin ; à moi n'appartient pas cet honneur, et je ne suis qu'apothicaire, apothicaire indigne pour vous servir ». Dans Le Malade imaginaire, Fleurant est un usurpateur, un fantoche entièrement soumis à la loi du médecin et d’une cupidité sans limite. Au travers de ces railleries burlesques, Molière illustre la fâcheuse réputation de l’homme de l’art qui fait le plus merveilleux des commerces en vendant des médicaments. Il dénonce les comptes d’apothicaires, opérations embrouillées plus ou moins douteuses : « vingt sol en langage d’apothicaire, c'est-à-dire dix sols ». Monsieur de Pourceaugnac arrive de Limoges pour épouser Julie qui aime Éraste. Interviennent des « personnages d’intrigue » qui vont tout faire pour l’en dissuader. Et pour commencer l’amener à consulter deux médecins pour lui faire croire qu’il est malade. Tout ce que dit le Limousin pour contester le diagnostic et protester de sa bonne santé est une preuve supplémentaire de sa maladie : l’hypocondrie ! Monsieur de Pourceaugnac est assis, l’air égaré, tandis que deux médecins lui tâtent le pouls lorsque l’apothicaire apparaît avec sa seringue. Les remèdes sont aussitôt prescrits : saignées fréquentes et plantureuses et purges abondantes. Pour compléter le traitement, un peu de musique et de ballet. Les musiciens entrent en scène pendant que l’apothicaire essaie de convaincre le malade de recevoir son lavement. Pourceaugnac s’enfuit avec sa chaise, poursuivi par l’apothicaire tenant sa seringue à clystère. La scène est du plus bel effet comique et déclenche toujours le rire des spectateurs.

CONCLUSION

On considère qu’avec le XVIIe siècle commence le monde moderne et que les progrès des sciences annoncent des découvertes importantes. Cependant les remèdes de l'époque ne correspondent pas toujours aux progrès de la chimie et de la pharmacologie. La thériaque, véritable panacée, est l’antidote universel ; la purge, la saignée et l’usage de la seringue à clystère sont les remèdes à tous les maux. La physiologie se perd dans un verbiage pseudo métaphysique et théologique et les physiologistes expliquent la vie et le mouvement par l’âme et les esprits. Le diagnostic du médecin se fonde sur 4 observations : le pouls, les urines, les selles et le sang. Cette conception abstraite de la pathologie alliée à une observation peu scientifique aboutissent à des sanctions thérapeutiques toujours identiques : « Clysterium donare, postea seignare, ensuita purgare ». Ce qui fait dire au Professeur

Escandre dans son ouvrage, Mirages de la médecine en 1987 : « Véritablement la médecine d’alors fait honte lorsqu’on en relit les textes écrits : la logorrhée et l’autosatisfaction en étaient les caractéristiques principales alors que, on le devine, les malades mouraient, souffraient et s’angoissaient sans autre secours qu’un verbiage ronflant et des traitements épuisants ».

La marquise de Sévigné et Molière nous présentent une revue du monde médical de leur siècle où les pratiques nous paraissent tout aussi archaïques que les praticiens. Au-delà de la littérature, c’est le reflet d’une époque qui nous laisse penser qu’en France le monde moderne, dans le domaine des sciences médicales, ne débute pas au XVIIe siècle. Malgré les découvertes de quelques précurseurs, les traditionalistes réfutent tout progrès. Les connaissances physiologiques de la « Faculté » sont encore celles de Galien : la chimie oppose la faculté de Montpellier à celle de Paris et la thérapeutique est des plus archaïques. Entièrement soumis à l’autorité des médecins, les apothicaires s’opposent pourtant à la Faculté de médecine de Paris en vendant l’antimoine. La terrible discorde qui s’ensuivit faillit anéantir la pharmacie et les héritiers de Nicolas Lémery durent attendre le siècle des Lumières pour devenir des scientifiques puis la fin de l’Ancien Régime pour obtenir le titre de pharmacien.

 

Notes

(1) La possession de certains ouvrages de travail est souvent imposée aux apothicaires par leurs statuts. Ils possèdent aussi parfois des œuvres médico-pharmaceutiques et botaniques. Au XVIIe siècle, les ouvrages généraux sont beaucoup moins nombreux mais le nombre de pharmacopées a augmenté. Parmi les premiers ouvrages se trouvent l’Exoticorum libri decem de Charles de Lécluse, les œuvres de Jacques et Paul Contant, commentateurs de Dioscorides, l’Hortus Eystettensis de Basile Besler et un document sur la matière médicale mexicaine du médecin espagnol Francisco Hernandez, Plantas, animales y minerales de Nueva-Espana usados en la medicina. Parmi les nombreux traités pharmaceutiques publiés, on distingue des Pharmacopées étrangères comme celles de Londres et d’Amsterdam, des Formulaires comme celui de Blois et des Pharmacopées locales comme celles de Bordeaux, de Dijon, de Lille, de Lyon, de Nantes, de Paris, de Toulouse et de Valenciennes. Sont également édités les Pharmacopées françaises de Jean de Renou, de Moïse Charas, de Schroeder, de Glauber et de Nicolas Lémery et le Dictionnaire pharmaceutique du médecin Demeuve. A la fin du siècle paraissent deux livres de références consacrés à l’histoire des drogues : l’Histoire générale des drogues de Pierre Pomet et le Traité universel des drogues simples de Nicolas Lémery. Les trois premiers Traités de chimie paraissent à la même époque, ils sont rédigés par trois apothicaires démonstrateurs au Jardin royal des plantes, Nicaise Le Febvre, Christophe Glaser et Nicolas Lémery.

(2) Nicolas Lémery, pharmacien, médecin et chimiste, auteur de nombreux ouvrages devient, en 1700, pensionnaire de l’Académie Royale des Sciences. Né à Rouen en 1645, issu d’un milieu bourgeois, il fait son apprentissage chez son oncle et complète sa formation à Paris puis à Montpellier. Apothicaire privilégié auprès du Grand Prévôt, il organise des cours publics et publie son Cours de Chimie qui sera, pendant près d’un siècle, un succès de librairie. Malgré sa célébrité et comme bon nombre de français appartenant à la R.P.R. (religion prétendue réformée), il fuit les persécutions et se réfugie en Angleterre, en 1681 : il y retrouve deux de ses confrères Moïse Charas et Nicaise Le Fevre. En 1686, une année après la révocation de l’Edit de Nantes, il se convertit au catholicisme, condition de son retour en France. Homme de l’art par excellence, symbole de la participation des pharmaciens à l’évolution des sciences, Nicolas Lémery se situe aux antipodes de « l’apothicaire de Molière ».

(3) Né en 1628 à Bâle, Christophe Glaser, une fois ses études terminées, s’établit comme apothicaire à Paris et ouvre une officine faubourg Saint-Germain à l’enseigne de la « Rose rouge ». Parmi sa clientèle, Madame Fouquet mère du surintendant, lui fait gagner la protection de son fils, puis de Vallot médecin du roi. Il acquiert ainsi la charge d’apothicaire de Monsieur, duc d’Orléans puis celle d’apothicaire du Roi. Lorsque Le Febvre part pour l’Angleterre, Glaser lui succède comme démonstrateur de chimie au « Jardin du Roy ». Chimiste de valeur il met au point la préparation de sels « Sels de Glaser », de la pierre infernale, du magistère de bismuth, de l’huile corrosive d’arsenic…. Il est aussi l’auteur du Traité de la chymie enseignant par une brieve et facile Methode toutes fes plus neceffaires preparations, publié en 1663, qui est sans doute à l’origine des grands traités qui contribuèrent peu à peu à l’éclosion de la chimie moderne.

 

Bibliographie

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La Pharmacie à La Rochelle avant 1803 : les Seignette et le Sel Polychreste / Maurice Soenen. – La Rochelle : Imprimerie Nouvelle Noël Texier, 1910

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L’Enseignement de la chimie et de la matière médicale aux apothicaires aux XVIIe et XVIIIe siècles / Claude Viel. – Paris : Revue d’histoire de la pharmacie, n° 321, 1999

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Dominique Kassel