Menier : hommes d'aventure

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Conférence prononcée le 3 décembre 2001 dans le cadre de l’exposition « Le chocolat, remède à tous les maux » par Bernard Logre, président de l’association « Connaissance du Val Maubuée » et Dominique Loisenon, membre de l’association

 Après avoir découvert l'aventure industrielle de la famille Menier, nous allons maintenant feuilleter l'album de la famille Menier. Nous allons découvrir les aventures que les différents membres ont mené à bien ou non : l'expérience d'Anticosti, le yachting, Chenonceau, les sports mécaniques et la chasse à courre.

Henri, Gaston et Albert constituent la première génération des Menier à profiter de ce que l'entreprise chocolatière et de caoutchouc va produire comme profit. Celle de Georges et Jacques sera la seconde. Bien que la génération suivante d'Antoine et Hubert participe à la vie de l'usine, celle de Georges et Jacques constitue une rupture, nous allons voir pourquoi.

Anticosti

La première aventure de la famille Menier se situe au Canada. En 1895, Henri Menier qui est passionné de chasse et de pêche décide de faire l'acquisition d'une île : Anticosti. Cette dernière est située au Québec à l'embouchure du Saint-Laurent. Sa surface est équivalente à celle de la Corse, 1220 km de long et 20 km de large. Sa latitude correspond à celle du nord de la région parisienne. Elle a été découverte en 1534 par Jacques Cartier, et rebaptisée l'année suivante « l'île de l'Assomption ». Henri Menier l'achète à une société anglaise. Elle comprend alors une importante forêt, de nombreuses bêtes fauves, des perspectives de chasse et de pêche : des morues, des flétans, des homards, des rivières, des lacs et un important gibier d'eau. Cette description correspond à celle proposée dans la plaquette de vente de cette île. En réalité la situation sera un peu moins idyllique. Cette île est réputée pour être très inhospitalière, dangereuse pour les marins c'est un véritable cimetière.

Henri Menier envoie son ami Georges-Martin Zeder explorer cette île. Celle-ci est coupée du reste du monde pendant 7à 8 mois puisqu'elle est entourée par la glace. Les températures y avoisinent les - 30° C et le mouillage est assez médiocre. Pour le moment il n'est pas possible d'implanter un port. Quelques activités sont néanmoins pratiquées : la pêche à la morue, le gibier pour les trappeurs et le bois de construction. L'été, la température est meilleure mais l'île est infestée de moustiques.

Georges-Martin Zeder dans son journal de bord précise que « si l'on ne parvient pas à se débarrasser des moustiques c'est une île que l'on ne pourra jamais exploiter ». Il retient néanmoins un certain nombre de points positifs : « le hasard nous mettait à même de créer une des plus belles entreprises de colonisation qui n'est jamais été faite au monde, digne des grands navigateurs qui avaient découvert et colonisé le Canada ». A l'époque, le fait de disposer de propriétés à l'extérieur du continent européen est un signe de puissance économique et donc de puissance politique. Jules Ferry a d'ailleurs dit que « la colonisation est fille de la politique industrielle ».

L'hiver 1895-96 est consacré au contact avec les autorités locales. Premiers plans, premiers devis, premiers descriptifs de l'aventure d'Anticosti. Très rapidement Henri Menier décide de mettre des verrous sur cette île et instaure un règlement assez strict. Il est interdit à tout habitant de l'île de pêcher de chasser, d'aborder l'île d'Anticosti. L'alcool est prohibé, un certain nombre d'autres activités ne peuvent être exécutées qu'avec l'autorisation du propriétaire des lieux c'est à dire Henri Menier.

Le premier village est installé à la pointe ouest de l'île. Des maisons selon le même modèle, une église de 600 fidèles, un l'hôtel, une salle des fêtes sont construits. Des cerfs de virginie sont implantés. Actuellement, environ 125 000 cerfs sont dénombrés sur l'île d'Anticosti. Le renard argenté est également élevé afin d'exporter sa fourrure vers le Québec.

À cette époque, à la pointe ouest de l'île, des gens vivent de manière plus ou moins licite, ils s'intéressent en particulier à la pêche. Menier leur demande de respecter le règlement ce qu'ils ne font pas, il les chasse donc. Cet incident s'est produit dans les années 1900 à la veille d'une élection fédérale. L'église méthodiste s'en est alors mêlée et le Premier ministre du Québec a demandé à Menier de venir s'expliquer. L'expulsion a été maintenue, la presse s'en est emparée et a suggéré que la famille Menier était un « sous-marin » du gouvernement français et qu'elle venait installer sur cette île un dépôt de matériel militaire pour pouvoir reconquérir le Canada. Georges-Martin Zeder a dû se rendre à Londres pour s'expliquer auprès du Premier ministre. La visite d'un représentant militaire de la couronne britannique a été nécessaire pour que les affaires s'arrangent.

Le premier village a été abandonné et le deuxième village a été nommé Port-Menier. Ce village existe toujours et compte aujourd'hui 150 à 200 habitants. Il est constitué d'un quai de 800 mètres de long qui permet aux gros navires d'accoster. Une voie de chemin de fer permet de relier l'extrémité du quai au village. Le train sert à la circulation du matériel à l'intérieur du village, à l'acheminement jusqu'aux bateaux du bois de flottage destiné à la fabrication de la pâte à papier, et à accueillir des invités.

Pour le séjour de ses hôtes, Henri Menier a fait construire une villa réalisée sur les plans de Stephen Sauvestre qui est l'architecte de la Tour Eiffel et de constructions pour les Menier : bâtiments industriels à Noisiel et résidences secondaires. Cette villa, renommée "le Château" par les habitants de Port-Menier, est composée d'une très grande salle à manger, de quinze chambres, d'une bibliothèque, d'une tour avec télescope, lequel permet à Henri Menier d'observer la mer et à Georges-Martin Zeder le fonctionnement convenable du port. Du mobilier de style, des tapisseries des gobelins, des faïences anciennes décorent les pièces.

Parmi les invités on compte essentiellement les autorités canadiennes venues pour chasser et pêcher. Lors de la venue de Henri Menier et de Georges-Martin Zeder ils sont accueillis en fanfare au son de la Marseillaise. De joyeuses fêtes sont données.

L'exploitation de l'île d'Anticosti repose sur la chasse, la pêche, le renard pour sa fourrure, le homard mis en conserve et exporté à destination de la ville de Québec…

Vers 1913, un projet d'ouverture de l'île au tourisme est envisagé. Un hôtel de 300 chambres, des pavillons individuels, un golf 18 trous et des cours de tennis sont prévus. La mort d'Henri Menier en 1913, met un coup d'arrêt à l'ensemble des projets. De plus, en raison de la Première Guerre mondiale de nombreux ouvriers d'origines différentes rentrent dans leur pays pour peut-être se battre les uns contre les autres. Après la guerre, Gaston Menier appelle

Zeder pour faire le bilan de cette île d'Anticosti. Ils s'aperçoivent alors qu'elle a coûté plus qu'elle n'a rapporté. Gaston Menier décide de vendre cette île d'Anticosti. Elle le sera en 1926.

Cette île existe toujours, elle est un lieu privilégié pour explorer la nature. Depuis quelques années Anticosti s'ouvre au tourisme.

Le yachting

Nous sommes en 1898, la Bacchante vient de quitter Le Havre le 6 juin avec 60 hommes d'équipage. Acquis en 1897 ce steam-yacht (ex Zaria) de 973 tonneaux avec ses 62 mètres hors tout est le troisième yacht français du moment. Mais en cette fin de siècle le yachting vit son âge d'or. C'est le temps des yachtmen, des princes et des rois navigateurs et des chevaliers d'industrie plaisancière. C'est l'ère des nouvelles compétitions c'est devenu une certaine manière de vivre, de philosopher et de s'habiller.

Membre du conseil du yacht club de France, vice-président de l'union des yachts français à la création de laquelle il a pris une part importante. Henri qui a étudié l'architecture navale et la construction des yachts, ingénieux et chercheur de nature, multiplie les expériences nautiques.

Dès 1878, Il fait ses premières armes sur le Sphinx. Il achète en 1881 la Surrirela, une goélette à vapeur de 40 mètres et 181 tonneaux, puis en 1884 un trois mats barque à vapeur le Velleda faisant près de 60 mètres de long et 615 tonneaux. Ce bateau est à ce moment le troisième yacht de France et le premier yacht français à avoir tâté la banquise. Il renonce le 15 juillet 1886 par 81° de latitude nord. Il a pratiqué toutes les mers d'Europe, la méditerranée, l'Adriatique le Canal de Suez et la mer rouge. Une quarantaine suite à une grave épidémie en Inde l'empêche d'aller jusqu'au Moyen-Orient.

Entre ses croisières en 1888, Henri Menier fait construire un vapeur de rivière, l'Almée, muni d'une coque en acier galvanisée, la première semble-t-il. Cette embarcation de 100 tonneaux est propulsée par deux moteurs de 500 chevaux. L'embarquement se fait sur l'Oise à Vauréal où Henri Menier dispose d'un château. Ce bateau est à destination du Havre pour de longs périples.

Le député Gaston Menier, propriétaire du 4 avenue Ruysdaël n'est pas en reste. Après avoir acquis un modeste yacht Julie, du nom de Julie Rodier sa femme, il achète une goélette à vapeur de 35 mètres avec un moteur de torpilleur de 700 chevaux filant à 15 nœuds.

En 1901, Gaston Menier fait entrer dans son patrimoine L'Ariane. Ce bâtiment est sans doute le plus beau des yachts Menier : 75 mètres de long, 8,15 mètres de large, 630 tonnes, un équipage de 24 hommes, un intérieur luxueux, constitué de 9 cabines, 3 salles de bain, 1 salle à manger et 2 salons. Le 9 juin 1902, ce yacht quitte Le Havre pour une croisière de 50 jours sur les côtes de Norvège, cap Nord, Suède. A son bord, l'armateur du Belem M. Crouan, l'ex président du conseil Waldeck Rousseau et sa femme. Quelques jours plus tard au large de Bergen ils dînent en toute simplicité à la table de l'empereur d'Allemagne Guillaume II sur le Hohenzalem. Dans l'après-midi Gaston Menier l'avait accueilli à son bord. L'Ariane sera vu pour la dernière fois à Cannes en 1913.

Le troisième frère Menier, Albert, est, peut-on lire dans L'Illustration, « un gentleman tout à fait dans le mouvement et qui ferait chauffer le train plutôt que de le manquer ». Il dispose d'un cirque privé. Dandy, il roule en phaeton à vapeur de Dion, sportsman, chasseur, entraîneur, il est aussi yachtman. Après s'être exercé sur le vapeur Giralda, Albert Menier acquiert en 1876 le Nemesis, un stream yacht de 60 mètres et de 571 tonneaux construit à Glasgow. En 1888, il réussit une sensationnelle première en portant le pavillon français dans les mers de Chine et du Japon. Il meurt à 41 ans, raison pour laquelle il est moins connu que ses deux frères.

De cette flotte, seul le La Bacchante survivra à la grande guerre et sera transformé en chalutier. Il est désarmé en 1927.

Chenonceau

En 1900, les enfants de Gaston Menier habitent au 61 rue de Monceau depuis la mort de leur mère en 1892. Georges a 20 ans, c'est un dilettante, bien qu'associé à l'entreprise il est plus artiste qu'homme d'affaires. Il écrit des musiques de ballets, quelques opérettes, il expose dans les salons. Deux aquarelles de belle facture rappelant le rôle du château de Chenonceau pendant la Grande Guerre. Une plaque apposée sur les lieux le rappelle sobrement « Ici furent soignés 2 254 blessés pendant la guerre 1914-1918 ».

Ce château c'est l'autre folie d'Henri. Acquis à la volée quelques semaines avant sa mort en 1913, il est toujours la propriété des Menier.

Les sports mécaniques

Jacques, le deuxième frère aura une vie jalonnée de drames et d'épreuves. Il n'a pas connu sa mère et il a 22 ans quand la Grande Guerre éclate. Il est pilote, abattu en août 1917, il est gravement brûlé, défiguré il aura beaucoup de mal à se remettre de ses blessures. Comme tous les Menier il manifeste un goût immodéré pour les sports mécaniques. Dans les années 20 il a deux bateaux : le Coq hardi et le Thébée. Ce ne sont pas des voiliers mais les bateaux à moteur. Il est le président du Yacht moteur club de France, mais il aime par-dessus tout les voitures. De Janvier 1934 à la fin de l'année 36, l'écurie Jacques Menier met en course 3 MG et 2 Dehaye. Son neveu Antoine court lui sur Voisin Bugatti et Alfa Roméo.

La passion de l'automobile est dans la famille. Les grands de l'histoire de l'automobile vont rencontrer à un moment les Menier pour la seule raison qu'ils mettent leur fortune à la disposition d'une passion. On y trouve Amédée Mollet, de Dion, Serpollet Panhard et Levassor puis Peugeot et plus tard Michelin.

Henri en 1902 a même participé à la coupe Gordon Benett Paris-Vienne et obtenu la médaille d'argent en catégorie grand tourisme.

La chasse

Et pour terminer notre propos un point commun et une passion toutes générations confondues : la chasse. Plaisir des princes et apanage de la noblesse d'ancien régime, la vénerie s'impose au XIXe à la bourgeoisie issue de l'industrie des finances et des affaires.

N'échappant pas à ce fait les Menier (Henri Gaston et Albert) vont découpler des 1876 en forêt de l'Isle-Adam et Carmelle puis à partir de 1883 en forêt de Retz, la forêt de Villers-Cotterêts. En 1891 ils disposent de 13 000 hectares de chasse qu'ils vont conserver jusqu'en 1936. 7 maîtres d'équipage vont se succéder : Henri, Gaston, Jacques puis Hubert.

On chasse deux fois par semaine on quitte Paris par le train spécial de 9h05 à la gare du nord, les breaks de chasse attendent à Villers-Cotterêts à ceux qui n'ont pu venir, on envoie une carte postale où est tracé l'itinéraire de la chasse. La chasse la plus mémorable est sans doute celle du 12 janvier 1924. Ce jour-là, le prince de Galles, futur roi d'Angleterre, est l'hôte de l'équipage.

Henri meurt en 1913, Gaston en 1934, son fils est décédé l'année précédente, Jacques devient le dernier maître d'équipage. La 50ème saison 1935-36 est la dernière, 1441 cerfs auront été pris depuis la première saison puis l'équipage met bas.

Petites entorses à la chasse à courre, Jacques et Georges sont des lieutenants de louveterie.

Georges possède des fox à poils dur et pratique le déterrage, technique de chasse prisée par nos voisins britanniques pour chasser le renard et le blaireau.

En février 1950 alors que les affaires sont au plus bas Hubert petit fils de Gaston crée un voutrait. C'est un équipage spécialisé dans la chasse au sanglier qui pullule en forêt d'Halatte et de Chantilly. Il mettra bas à son tour en 1957.

Bernard Logre et Dominique Loisenon